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Maman. Ce mot n'avait jamais émergé de mes entrailles. Aussi loin que mes souvenirs furent enterrés, dans ce puits que formait mon coeur, je ne retrouvais que cette sensation de n'en avoir jamais eue. Cela peut-être à cause du silence profond dans lequel m'avait plongé mon géniteur depuis l'enfance. Journée après journée, je cherchais dans ma demeure cette trace féminine, aussi imperceptible qu'elle aurait pu être. Je me retrouvais vite les mains et surtout l'âme vides. Aucune ombre, aucun flacon brisé. Pas même l'éclat de verre d'un cadre que l'on aurait fracassé sous la colère provoquée par une quelconque rupture ou démasquage de tromperie. Rien. J'avais donc fini par croire que son existence relevait de la simple fiction.

 

Parfois, je tentais de sentir l'amour de cette jeune femme. J'essayais d'y croire au plus fort, espérant ainsi faire remonter quelques souvenirs en moi d'un sourire ou d'un parfum, d'une sensation de peau un peu chaude contre laquelle j'aurais été blottie à l'aube de mes jours. Mais évidemment, ces espoirs restaient vains. Une femme n'avait-elle réellement pas hanté cette demeure vide de toute espérance?

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Ces souvenirs inexistants me rongeaient jours et nuits. Des films entiers, longs métrages ou courts métrages, se faufilaient dans mon corps, faisant vibrer mes os, nourrissant cet insecte infâme que j'avais au creux du ventre et qui me tordait les viscères. Je l'ai tellement rêvée, cette maman qui fut danseuse, acrobate, institutrice, princesse, héroïne d'un monde fantastique.

Ma grand-mère un jour me souffla à l'oreille ce murmure dont je me souviens encore :

<<tu n'en as pas une , mais mille.>>. J'avais donc mille mamans. Chacun de mes rêves en était une.

Ce manque se métamorphosa par la suite en une rage constante, une colère dévastatrice et un dégout profond envers mon père qui n'était alors à mes yeux plus digne de ce titre. J'avais acquis une lassitude extrême envers ce mot que j'avais trop dit pendant ces premières années de ma vie. Il ne pouvait être que coupable et je lui en voulais de vivre à sa place. J'aimais vomir cette haine, déverser ce liquide acide et brûlant sur la seule personne qui aurait pu être le responsable de mes douleurs. Le mot papa me déchirait la bouche, rendait ma salive ardente, m'assombrissant regard et âme. Je n'y avais pourtant jamais reçu de réponse. À vrai dire, je ne le crachais à son visage qu'afin de mieux  lui rappeler l'erreur que j'étais pour lui.

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Aeden était enfer.

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J'étais la progéniture d'un pervers voué au sexe. Mes chastes yeux souffraient chaque jour un peu plus de voir tant de filles dénudées. Toutes ces poitrines ballottées au rythme régulier de pas résonnant me font encore vaciller aujourd'hui. Elles n'étaient à mes yeuxi que simples prostituées, elles n'étaient aux siens  rien de moins que princesses.

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Les allées et venues de seins me devenant insupportables, je décidai de trouver refuge dans un endroit dont l'accès m'avait été interdit. Un petit espace à l'étage sous l'escalier qui servait de vieux placard.

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Je m'enfermai à l'étroit, en position foetale, avec le dessein de ne pas laisser s'échapper mes faux souvenirs, puisqu'ils avaient tendance à s'envoler, sans que je puisse les rattraper.  Je rêvais d'être encore dans le ventre de ma reine. J'avais en réalité une seule certitude à laquelle me raccrocher : j'avais été près d'elle durant neuf mois de ma vie et c'était l'une de mes plus belles illusions.

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Mon géniteur  ne s'inquiéta pas de ma disparition. Évidemment, pour lui, tout était devenu plus simple depuis que je n'étais plus là. Il n'avait maintenant plus à regarder en face ce visage enfantin qui lui rappelait tout le dégoût qu'il avait de sa personne.

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Un jour, par un coup de mon ennemie la chance ou peut-être par la faute de mon ami le destin, je cassai l'une des planches du placard en tentant de faire passer une crampe. Je tendis mes jambes tout engourdies et la pression eut raison du bois rongé qui m'abritait. Afin éviter de me blesser et pour ne pas perdre le peu d'espace que j'avais dans cet utérus improvisé, je décidai de l'enlever de mes petites mains sans forces. J'y parvins avec peine et écorchures. Ma douleur ne fut pourtant que secondaire lorsque je découvris que je venais de me dénicher un passage vers un endroit rester secret dans cette maison. En y repensant, ça ressemblait étrangement à une seconde naissance .

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