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Cette petite enfant qui criait et convulsait presque par moment était la clef de ma vie. Un deuxième coeur, un nouveau souffle. Elle était l'espoir même. Évidemment, à l'instant où je la découvris, je l'ignorais encore.

 

Lors des quelques secondes qui s'écoulèrent pendant lesquelles nos regards se croisèrent, elle n'avait été pour moi qu'une bête curieuse et effrayante. L'étrange m'avait toujours semblé être une normalité propre à toute forme de vie sur terre. Mais cette fois-ci, le mystérieux c'était la peur. Celle qui vous glace, vous paralyse, celle qui vous fait sentir combien vous restez humain, malgré le fait que vous soyez Aeden la disparue du placard. Une peur qui me rendit malgré tout curieuse. Je sentais, au plus profond de mes entrailles, que cette enfant ne me tuerait pas. Un sentiment étrange autre que la frayeur me parcourrait. Ce n'était ni pitié, ni tendresse. Ce n'était pas non plus un de ces coups de foudre pitoyables auxquels je ne croyais déjà plus à l'âge de huit ans. C'était un lien. Un lien spécial qui n'était ni amour, ni amitié, ni autre sentiment mensonger.

 

Je restai immobile devant son spectacle d'épileptique, ne sachant trop que faire de cette chose. Ce n'est que quelques instants plus tard que je décidai de vaincre ma paralysie, tentant de m'approcher d'elle. J'avançai lentement, m'efforçant de rester calme et posée, tâchant ainsi d'éviter de provoquer une quelconque panique supplémentaire de la part de cet être mystérieux. Un court laps de temps s'écoula et je me retrouvai à ses côtés. Toujours soucieuse de ne pas l'apeurer, je décidai de m'asseoir, me retrouvant ainsi à son niveau. Je parus alors moins imposante à ses yeux. Ses convulsions ne s'en interrompirent pas pour autant. J'avais la sensation de pouvoir voir et entendre le coeur affolé de ce corps si fragile cogner contre toutes les parois de sa cage thoracique.

 

Puis, comme une intuition, une pulsion, comme une de ces choses que l'on a au fond de soi et que l'on sait depuis toujours, je mis ma main sur ses yeux. Ce geste mécanique eut un effet presque instantané. Ses cris s'estompèrent peu à peu, ses membres se détendirent tandis que sa respiration devint calme, douce et fluide, me faisant frissonner tant elle fut agréable à entendre. Mon regard se posa sur ce corps d'une beauté devenue époustouflante. Ses yeux noirs qui vous aspiraient, vous laissant l'impression d’y distinguer une âme. Cette peau blanche presque transparente, par laquelle vous auriez pu entrevoir les entrailles de cette enfant.

 

Je la relevai doucement et calmement, lui laissant ainsi le temps de reprendre ses esprits. Elle s'assit devant moi, me contemplant. Je ne bronchai pas, la laissant parcourir mon corps de ses yeux noirs, lui laissant en quelque sorte le temps d’elle aussi m'apprendre. Je n'osai même pas sourire tant la peur que cette innocence qu'elle venait de retrouver se fasse à nouveau ronger par le monstre affreux qu'il y avait en elle. Un monstre qui la contrôlait sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit.

 

-Adéna, dit-elle simplement, me souriant faiblement.

 

Je fus surprise d'entendre un son si doux et si mélodieux s'échapper de sa bouche. D'abord parce que jusqu'à cet instant, seules des vibrations inaudibles en avaient été propulsées. Mais plus certainement parce que je me rendais compte qu'elle avait, elle aussi, acquis le langage que l'on m'avait enseigné.

 

-Adéna ? Tu t'appelles Adéna?

 

Elle acquiesça. Nous nous regardâmes un instant, comme si par cette simple phrase qu'elle venait de prononcer, le lien que j'avais ressenti lors de ma paralysie s'allongeait légèrement, d'un millimètre peut-être, mais il grandissait.

 

-Et toi? Poursuivit-elle dans un murmure.

-Aeden, comme le jardin.

-Jardin d'Aeden ! dit-elle instinctivement, parce qu'elle n'avait pas compris.

 

J'avais l'envie de lui poser les milliers de questions qui se percutaient dans ma tête, bouillonnaient, et explosaient. Mais je me retins. Il fallait que le temps nous guide.

 

Adéna devenait à cet instant ma pièce manquante. Elle avait cette féminité et cette fragilité tant recherchées depuis ces années. Toutes ces sensations me faisaient trembler. Je ne voulus cependant rien lui dire, j'espérai seulement qu'elle ne s'en rendit pas compte.

 

- Aeden? me dit-elle, les yeux écarquillés.

- Oui?

- Nous sommes liées

- Tu le ressens ?

- Non, il vient de me le dire.

- Qui ça?

- Lui. Me répondit-elle, pointant quelqu’un derrière moi.

 

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