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Colère, peur, incompréhension et joie se mélangèrent en moi comme un enivrement qu'on peine à supporter. Comment avait-on pu me soustraire deux personnes qui auraient été une source de bonheur? Comment mon père avait-il fait pour m'arracher deux personnes ? Les larmes montèrent en moi. Je serrai les poings. La colère fit disparaître le reste de ce mélange de sentiments étourdissants. J’essayai en vain de retenir l'eau salée qui commençait déjà à perler sur mes joues. La souffrance était intense, brûlante et destructrice. J'aurais aimé plonger mes mains affreuses à l'intérieur de moi, lacérer mon coeur, me l'arracher pour qu'il cesse de me faire subir cette émotion qui s'emparait de moi comme un venin aurait parcouru mes veines, me consumant jusqu'à la moindre cellule de mon corps.
 

J'abandonnai cette lutte. Mes mains se posèrent sur mes yeux instinctivement, mon corps frissonna et commença à trembler. J'étais à terre, au sens propre comme au figuré. J'éclatai finalement en sanglots. C'était la première fois qu'une personne, ou peut-être deux, me voyaient me vider de ma haine et de ma tristesse. Cela en fut encore plus détestable. J'avais tué Aeden la dure à cuire en m'exposant en pleurs devant une enfant que je ne connaissais pas. Un meurtre qui me laisse encore un gout amer aujourd'hui. Aeden devait être tout sauf un être sensible.
 

Adéna ne fit aucun mouvement durant la demi-heure que je passai à m'exténuer et évacuer toutes ces perles salées. Elle laissait ce flot se déverser sans s'agiter. Je ne sais pas si elle avait assimilé la rareté de ce qu'elle voyait, je ne sais pas si son monde s'était brisé à l'instant où elle avait appris que nous étions liées. S'en était-elle réellement rendu compte? Il est incontestable qu'elle n'avait sûrement jamais ressenti ce besoin d'être contre un autre être humain. Cette sensation étrange d'avoir envie de sentir d'autres battements que ceux de votre coeur contre votre poitrine. D'avoir juste ce désir d'ouvrir l'accès au bonheur. Alors qu'étais-je devenue pour Adéna? Vivait-elle ce lien, ou ne faisait-elle que l'entendre sans éprouver la moindre accélération cardiaque?

 

Mes larmes s'atténuèrent. Ma respiration retrouva son rythme habituel. Je constatai avec stupéfaction que me découvrir une alliée, me rendre compte qu'elle était désormais présente dans ma vie m'apaisait considérablement. Sa sérénité en cet instant ou mon corps était devenu un brasier m'avait littéralement abasourdie. Elle qui, quelque temps plus tôt, m'avait révélé son côté un peu aliéné et dévastateur. Elle attendait, impassiblement, que ma frénésie s'éteigne.
 

Je relevai mon visage souillé de larmes, la regardant tout en me sentant me vivifier. Ma petite Adéna était devenue la plus ravissante des enfants. Tout était terminé en moi, Aeden s'était emparé de mon corps à nouveau. Adéna me sourit légèrement.


 

-  Moi aussi je pleure

-   Je sais… Lui répondis-je avec gène.   

Elle sourit à nouveau, elle aussi un peu embarrassée.

 

- Nous ne sommes pas liées pour rien. Lui affirmais-je simplement, tout en me levant. Elle suivit mon geste, se dressant sur ses courtes jambes.

 

- Quelqu’un t’a mise ici?

- Je ne me souviens pas, mais il m'a dit que oui.    
-IL? criais-je avec une fausse consternation.

- Oui, ton marionnettiste.

- mon?
- Marionnettiste.

 

Je fis semblant de comprendre ce qu'elle venait de me soutenir. Me vint alors une illumination. Adéna ayant été isolée durant cinq ans, s'était simplement fabriqué un compagnon imaginaire. Une personne qui l'avait fictivement soutenue, qui lui avait trompeusement donné des explications à sa solitude et à son arrivée ici.

 

J'eus ensuite une idée pour le moins étrange, mais sensée. J’étais certaine que son isolement l'insupportait, et je savais très bien qu'un deuxième utérus improvisé ne me disait plus grand-chose. Je décidai de partir de cette demeure où j'avais dû assimiler énormément d'horreur et de dégoût.

 

- Adéna? lui dis-je en la regardant pleine d'espoir et   d'impatience
- Oui?
- Viens, nous partons.

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