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Adéna me regarda pleine de stupeur, ses yeux interrogateurs me parcourant un court instant. Elle baissa ensuite sa tête d'enfant indomptable. Je pus remarquer que son corps entier s'était crispé suite à cette simple question. Un naïf désir dont je lui avais fait part dans un seul but, celui de lui offrir ce qu'elle méritait autant, voir plus que moi, la vie.

-C'est quoi partir? Me dit-elle, la voix tremblante.
-Partir?
-Et bien..., poursuivis-je, c'est s'enlever des chaînes, affronter le destin, devenir un auteur et non plus subir le rôle d'acteur de ce livre que quelqu'un a écrit pour toi à ta place. Partir c'est nous donner la chance de renverser l'intrigue principale de cet ouvrage que nous ne voulions pas vivre. Partir Adéna, partir c'est vivre.

Elle posa son regard vide sur moi. Exister enfin. Cette pensée pulvérisa mon cœur et comme une clef d'espoir le fit fonctionner à nouveau. J'entendis de courts battements sourds résonner dans tout mon triste corps.

- IL dit :Adéna doit s'en aller avec Aeden, dit-elle soudain d'un air enfantin, comme si quelqu'un parlait à travers son corps et ses lèvres.
-Ton marionnettiste?
- Non, Adéna n’a pas de marionnettiste. Adéna les voit. Tous les marionnettistes sont les amis d'Adéna. Toi tu es Sa Aeden, dit-elle, comme si tout ceci était une vérité absolue.


Elle pencha sa petite tête sur le côté, faisant tomber quelques mèches de cheveux noirs devant ces iris ténébreux qui me fascinaient tant. Elle sourit tendrement. Je distinguai pour la deuxième fois les dents pointues et terrifiantes qui contrastaient avec l'air doux et calme qui émanait d'elle. Cinq os chétifs se tendirent vers moi et par réflex, je mis ma main dans la sienne.


- Adéna part avec Aeden, dit-elle.


Je serrai alors sa maigre main de toutes mes forces et me mis à courir, ne sachant ni où aller ni par quelle porte sortir. Je sentis simplement un vent délicieux se poser sur moi lors de ma course folle à travers ces couloirs pourpres. C'était la liberté qui m'enlaçait, faisant couler un élixir pur dans mes veines, le bonheur.

-Là-bas Den!

 

Den, avait-elle dit. Comme si Adéna tuait l'Aeden triste et solitaire en me rebaptisant. Un surnom qui amplifia ma sensation de liberté. Je suivis ses indications et nous arrivâmes devant une porte un peu spéciale. Je regardai Adéna d'un air interrogateur

-Par là?
-oui

Je me demandai alors pourquoi Adéna fut séquestrée tant de temps ici, alors que l'issue vers une vraie vie n'était qu'à quelques pas d'elle. Je me souvins alors que la porte s'était ouverte grâce au fait que je la découvris. En effet, elle était ainsi construite que seules les personnes extérieures pouvaient l'ouvrir.

-Prête? lui demandais-je sans attendre de réponse, sachant déjà avec certitude qu'elle acquiescerait

Je poussai d'un coup sec cette porte violette. Elle grinça violemment, faisant résonner un son aigu dans tous les couloirs de ce labyrinthe. Nous franchîmes le seuil, nous tenant la main, remplie de bonheur et d'espoir, sachant qu'à présent c'était Aeden et Adéna pour toujours.


-Attends. Dis-je en l’agrippant.


Elle me regarda d'un air sage et curieux

- A partir de maintenant tu es la seule chose que je veux porter en moi, poursuivais-je.

Elle me regarda et je distinguai à sa façon de me dévisager qu'elle n'avait pas saisie l'importance des mots que je venais de prononcer. Je regardai à nouveau devant moi et passai ce cap. Je décidai ensuite de refermer la porte. En faisant ce geste symbolique, je bouclai pour toujours une partie d'Aeden ; je m’obligeais à ne jamais revenir sur mes pas.


Nous débouchâmes sur une petite rue terreuse parsemée de cailloux. Le paysage était sombre et brumeux. Le temps devint lourd, le ciel s'assombrit, le vent enlaça les arbres dont les feuilles se caressèrent. Dès lors, une petite mélodie se fit entendre. La nature annonçait la pluie. Puis, un silence et enfin, une goutte qui s'écrasa sur le coin de mon oeil, celui-ci déjà charmé par l'ambiance. Voilà qu'enfin, le ciel se mit à pleurer, suivi d'un roulement de tambour. Mes cheveux commencèrent à s'alourdir. Ce soir, pour la première fois de ma vie, je ne fus pas seule. Adéna était là et c'était désormais le seul mot qui comptait pour moi.

Nous marchâmes main dans la main, nos cœurs battant à l'unisson, la pluie ne nous arrêtant pas. Adéna leva son doigt vers le ciel, intriguée de sentir enfin un air pur se faufiler dans ses poumons.

-Le ciel est triste, dit-elle, regardant toujours avec intérêt l'eau qui tombait lourdement sur son corps si frêle.

Je me contentai de sourire et posai mon regard sur un champ au loin. Un grand chapiteau y était dressé, entouré de roulottes qui semblaient toutes plus colorées les unes que les autres. Toutes ces teintes qui s'opposaient à cette ambiance sinistre qui régnait depuis notre libération me ravirent. Adéna remarqua ma contemplation et tira doucement sur mon bras.

-C'est quoi Den?
-Le cirque, Adéna. Lui dis-je impatiente, tant l'idée d'y retourner me traversait vivement le corps, le faisant trembler de joie.

J'entraînai Adéna, traversant ce champ à toute allure, le coeur battant à en faire exploser mes côtes. Ma petite soeur avait du mal à me suivre. Elle rigolait tant elle trouvait amusantes les éclaboussures de boues qu'elle avait réussi à se mettre jusqu'au bout du nez.


Nous étions enfin arrivés au milieu de ces roulottes. Ma déception fut immense lorsque je découvris que tout était vide. Ce n'était plus qu'un cimetière.

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