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Nous marchâmes pendant plusieurs minutes très silencieuses. Nous étions noyées dans des flots de couleurs grises, emmitouflées dans un brouillard glacé. Lelyan marchait rapidement, serrant nos mains sur lesquelles se distinguaient déjà quelques nuances de bleus.

 

Elle continua son trot à travers ces allées ternes, lorsque nous arrivâmes enfin devant un petit portail, dont quelques immondes plantes sauvages s'étaient emparées, et à travers lesquelles je distinguais quelques morceaux de métal rouillé. Il grinça bruyamment, un crissement se percuta avec force au vide pour se briser dans le silence.

 

 Sous une masse de diverses plantes se discernait une petite vitre sale et quelques pierres sombres parsemées de mousse verte. Lelyan poussa une petite porte en bois et nous fit entrer dans sa demeure.

 

Une lampe laissait échapper une lumière douce et jaune qui se faufilait sur les murs de bois, glissait sur votre peau pour retomber avec finesse sur un sol en chêne. Elle nous installa à table, nous versant dans un bol un liquide qu'elle appelait « le bubble ». C'était une boisson chaude, d'une couleur violacée avec quelques reflets rosés, et dans lequel pétillaient quelques bulles bleutées. Découverte qui fut aussi surprenante que délicieuse. Elle s'installa ensuite sur un siège un peu poussiéreux, près d'un foyer où seules quelques braises brûlaient encore. C'est alors qu'une voix douce et calme se fit entendre, se faufilant dans cette pièce comme un fond de musique classique reposant.

 
<<-J'ai toujours su que le cirque était ce pourquoi j'avais ma place ici, enfant déjà, mes pieds se faufilaient dans des chaussons trop grands que quelques acrobates avaient abandonnés en coulisses. J'étais émerveillée par ce monde si mystérieux. Mon coeur ne battait jamais aussi vite que lorsque mes doigts effleuraient les tissus et les rubans des costumes, je n'ai jamais senti plus agréables parfums que ceux des loges. Je demeurais des heures entières tapie dans l'ombre de la scène afin d'apprécier répétitions et spectacles. Quand cette féerie cessait, je me surprenais à prier que cela puisse perdurer encore ne fusse qu'une minute.

 

 <<Mon paternel avait en sa possession un chapiteau aux couleurs délavées qui semblait avoir déjà vécu maintes histoires. Il franchit un jour le seuil de la maison en claquant porte, plein d'espoir. Il me prit dans ses bras, soutenant le regard de ma mère qui fut fort heureuse de revoir les yeux de son époux rempli d'espérance. Il annonça alors la folle idée néanmoins prodigieuse qu'il avait de former quelques artistes désespérés dont le succès et la dignité avaient été emportés ailleurs. Ce fut le début de son rêve qui se finit presque aussitôt.

 

 <<C'était en janvier, je me rappelle encore de ces flocons qui se posaient délicatement sur le rebord de la fenêtre. Ma maternelle avait allumé un petit feu, je sens encore la fumée et l'odeur de bois brûlé qui flottait ce soir-là. Ma mère et moi attendions le retour de l'homme qui était son époux et mon père. Il ne rentra jamais. C'était mon anniversaire, j'avais huit ans ce jour-là.

 

 <<la troupe d'acrobates, ne voulant pas perdre le succès nouveau qu'ils avaient acquis grâce à l'homme formidable qu'était mon père, décida de ne pas déserter ce cirque qui resta en la possession des Okenshield. Je sentais au fond que mon père existait toujours à travers ces répétitions et spectacles passionnés.

 

 -Que lui était-il arrivé, mademoiselle? Lui demandai- je timidement, tant j'avais de respect pour elle à présent.

-Les "coupeurs de fils..."

Voyant mon regard interrogateur, elle poursuivit

-on lui a arraché son marionnettiste.

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